Dimanche 19 octobre, Paris, 22 h 15Accoudé à son balcon, Serge Taillard sera tait la nuit parisienne en tirant de longues bouffées de son cigare. Son appartement était plongé dans le noir, et le bout incandescent décrivait des arabesques que l’on devait apercevoir de l’autre côté du canal Saint-Martin. Il laissait son esprit dériver dans un calme provisoire, de ceux qui précèdent les terribles tempêtes dévastatrices. Il tentait d’imaginer qu’il revenait vers des temps plus heureux, où la vie n’avait pas encore fait de lui ce qu’il était devenu, cet homme impitoyable que rien ni personne n’arrêtait jamais.Trois étages plus bas, les lampadaires bordant le canal projetaient sur les eaux noires des lueurs mouvantes disputant les reflets aux phares des voitures. Des éclats de voix provenant de l’autre côté de l’écluse se superposaient par moments au brait sourd de la circulation. Quelques sans-abri étaient revenus établir un campement sous les arches des ponts, afin d’échapper à la pluie fine qui tombait sans discontinuer depuis la fin de l’après-midi. Ils profitaient de la nuit pour s’installer, sachant que la police serait là le lendemain matin pour les déloger. Depuis que les zones couvertes avaient été grillagées sur les quais, ils changeaient de place sans arrêt, rôdant d’une berge à l’autre, en quête d’une place au sec pour dormir.Le goût âpre du cigare lui emplissait la bouche et laissait sur sa langue une épaisse sensation désagréable. Il racla sa gorge, à la recherche d’un peu de salive, puis il cracha dans la rue.L’éclair d’une sirène apparut au coin de la rue Saint-Louis et fila dans un bruit de pneus mouillés. Les éclats du gyrophare se répercutèrent sur les façades éteintes des bureaux déserts, dont les vitres s’avançaient en angle au-dessus du trottoir, puis ils s’évanouirent au loin entre les bâtiments de l’hôpital.Taillard pénétra dans le salon obscur et referma la porte-fenêtre derrière lui. Il se rendit d’un pas pesant dans la salle de bains, et ferma le robinet de la baignoire. La mousse allait bientôt déborder.Le cigare toujours coincé entre les lèvres, il se déshabilla en prenant soin de plier ses vêtements sur le bord du tabouret dont il se servait toujours comme tablette. Une fois nu, il s’observa quelques minutes dans le miroir du lavabo. Il rentra son ventre, et ne laissa pas son regard s’attarder sur les chairs flasques ourlant ses flancs de leurs bourrelets proéminents, témoins de son appétit pour la bonne chère. Les poils gris recouvrant son torse en touffes éparses masquaient à peine une vieille cicatrice, héritée d’un mauvais coup de couteau reçu dans une bagarre un soir d’«expédition», dans les années soixante-dix, à l’époque où il faisait partie du FUD, un groupuscule d’extrême droite qui commençait à faire parler de lui en tant que mouvement dur néonazi.
Thème(s) : Thriller
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Éditeur
NOUVEAUX AUTEUR
Date de parution
3 janvier 2013
EAN
9782819503095
Collection
THRILLER
Format
Broché
Dimensions
137 mm x 211 mm